Le vol entre époux : mythe ou réalité ? Comment se protéger efficacement ?
Le mariage, union sacrée destinée à unir deux personnes dans la confiance, l’entraide et le partage, n’est aucunement à l’abri des tensions ni des trahisons.
Parmi les situations les plus conflictuelles figure la question du vol entre époux.
Peut-on réellement voler son conjoint ? Quelles sont les limites de l’immunité pénale au sein du couple ? Que se passe-t-il lorsqu’un époux détourne des fonds du compte joint, subtilise des bijoux ou des documents précieux, ou profite de la procédure de divorce pour dissimuler des biens ?
Entre légende urbaine et subtilités du droit français, cet article vous propose une immersion complète dans la réalité du « vol entre époux », avec des exemples concrets, des solutions juridiques pratiques et des conseils d’avocat pour défendre vos droits et protéger votre patrimoine.
I- Le vol entre époux : un concept juridique sous haute surveillance juridique
La notion de vol entre époux intrigue, surprend, voire scandalise. Comment imaginer que l’on puisse être "voleur" ou " volé" au sein même de sa famille, alors que l’on partage tout, des revenus aux biens?
Pourtant, la question a traversé les siècles et la jurisprudence, donnant lieu à des débats passionnés et à une législation particulièrement nuancée.
A- L’immunité pénale entre époux : le principe général
En droit français, le principe est limpide : le vol commis par un époux au préjudice de son conjoint ne peut, en règle générale, donner lieu à des poursuites pénales.
Cette immunité familiale vise à préserver la paix et le secret du foyer, et trouve son fondement dans l’article 311-12 du Code pénal, modifié par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, article 10 qui précise : « Ne peut donner lieu à des poursuites pénales le vol commis par une personne : 1° Au préjudice de son ascendant ou de son descendant ; 2° Au préjudice de son conjoint, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément. »
Dès lors cela signifie que le vol ne peut donner lieu à poursuites lorsqu’il est commis “au préjudice de son conjoint”.
C’est donc le mariage qui fonde cette immunité, et non une quelconque confusion des patrimoines.
Il est important de préciser que ce régime n’est pas étendu aux concubins ni aux partenaires de PACS, qui n’en bénéficient pas.
B- Les exceptions à l’immunité : quand le vol entre époux devient une infraction
- La protection entre époux offerte par l’article 311-12 du Code pénal n’est pas absolue. Elle connaît des exceptions, que le législateur a strictement encadrées.
Les exceptions :
- Si les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément, l’immunité tombe. Il en va de même en cas de divorce effectif. L’article précise que ce n’est pas la simple séparation de fait qui suffit, mais bien une décision judiciaire ou une autorisation officielle.
Cette exclusion a été expressément prévue afin de ne pas maintenir artificiellement la protection pénale alors que la communauté de vie, socle de l’immunité, a cessé d’exister de façon officielle.
- Certains objets ou documents bénéficient d’une protection spécifique : les documents d’identité, les moyens de paiement, de télécommunication, ou tout bien indispensable à la vie quotidienne. Leur soustraction peut donc donner lieu à des poursuites, même au sein du couple.
Cette exception, introduite par la loi du 4 avril 2006 et étendue par celle du 30 juillet 2020, vise à empêcher que l’un des conjoints ne puisse exercer une pression ou un chantage sur l’autre en lui retirant des biens essentiels à son autonomie ou à sa liberté d’aller et venir. Elle reflète l’évolution du droit pénal vers une meilleure protection de la victime au sein du couple, notamment dans les situations de violences conjugales
- L’immunité ne s’applique pas non plus lorsque l’auteur du vol est le tuteur, curateur ou mandataire spécial du conjoint victime.
Cette troisième exception a été introduite pour protéger les majeurs vulnérables contre les abus de la part de leurs proches exerçant des fonctions de protection. Ainsi, l’immunité ne s’applique pas lorsque l’auteur du vol est le tuteur, curateur, mandataire spécial désigné dans le cadre d’une sauvegarde de justice, personne habilitée dans le cadre d’une habilitation familiale ou mandataire exécutant un mandat de protection future de la victime.
Cette exclusion vise à prévenir les risques de détournement patrimonial par ceux qui disposent d’un pouvoir juridique sur la personne protégée, et à garantir la responsabilité pénale pleine et entière de ces organes de protection. La loi du 28 décembre 2015 a ainsi supprimé l’immunité pénale dans ces situations afin de renforcer la protection des majeurs et éviter d’offrir une impunité à des délits commis sous couvert de proximité familiale ou d’une relation de confiance institutionnalisée
C- Détournement bancaire et vol d’argent : le cas du compte joint
Prenons une situation très fréquente l’un des époux effectue un virement depuis le compte joint du ménage vers son compte personnel, à l’insu de l’autre. Peut-on parler de vol ? La réponse est nuancée.
En principe, chaque époux a le pouvoir de gérer concurremment les biens communs, y compris les comptes bancaires ouverts au nom des deux époux. Le simple fait, pour un époux, de prélever une somme sur le compte joint pour la transférer sur son compte personnel n’est pas, en soi, constitutif de vol ou d’abus de confiance, sauf à démontrer l’existence d’une intention frauduleuse, d’une volonté de dissimulation ou d’une rupture de l’égalité lors du partage.
Par exemple, il a été considéré par la Cour d'Appel d'Angers que la somme d’argent qu’un époux avait virée à son crédit via l’utilisation des identifiants de connexion de son conjoint sur le site internet de leur banque ne constituait pas un moyen de paiement mais un élément de patrimoine devant faire l’objet d’une répartition entre époux dans le cadre de la procédure de divorce.
Toutefois, la situation est différente si la somme prélevée est dissimulée à l’autre conjoint et n’est pas prise en compte lors de la liquidation du régime matrimonial. Dans ce cas, la qualification pénale cède la place à une sanction civile qualifiée de le recel de communauté.
L’époux qui détourne sciemment des fonds communs en vue de priver son conjoint de sa part lors du partage encourt la sanction prévue par l’article 1477 du Code civil dès lors, il sera privé de toute part sur les biens détournés au profit exclusif de la victime.
L’époux victime du recel reçoit ainsi l’intégralité du bien recelé ou sa valeur s’il ne se trouve plus dans le patrimoine de l’époux receleur.
Il est donc essentiel, lors de la liquidation du régime matrimonial, que chaque époux soit en mesure de justifier l’utilisation des sommes importantes prélevées sur les comptes communs.
À défaut d’explications ou en présence d’une intention frauduleuse établie, la sanction est redoutable puisque l’époux receleur perd tout droit sur la somme détournée, au bénéfice de la victime
De plus, il est important de préciser qu' il pèse sur celui qui a disposé des sommes litigieuses la charge de prouver leur affectation. Il est donc tenu d’une obligation d’information, il doit prouver qu’il l’a exécutée et il doit donc prouver qu’il a porté à la connaissance de son conjoint ce qu’il a fait des deniers en cause, au moment où il les a dépensés.
S’il prouve cette exécution de son obligation, il prouve par là même que son conjoint a eu connaissance de l’affectation de la somme et qu’il a approuvé cette affectation. Il n’encourt dans ce cas aucune sanction.
En revanche, s’il ne parvient pas à prouver qu’il a porté à la connaissance de son conjoint cette affectation, il doit en justifier lorsqu’il en est requis.
En pratique, ce sera au moment des comptes, moment où il est déjà soupçonné de dissimulation. Il lèvera tout soupçon, s’il établit que les sommes litigieuses ont été affectées à la communauté. Il n’encourt, là encore, aucune sanction. S’il ne parvient pas à établir cette dernière preuve, il doit alors réintégrer les sommes manquantes à l’actif partageable. Elles seront partagées par moitié.
Mais si, en outre, son intention dolosive, destinée à rompre délibérément l’égalité du partage est établie par l’autre époux, il encourt la sanction du recel qui est beaucoup plus lourde.
Ce conjoint dans ce cas perd son butin au bénéfice de son conjoint qui reçoit, seul, la totalité des sommes dissimulées.
Il est important de préciser sur ce point que la jurisprudence est constante, en effet, la simple utilisation d’un compte joint n’est pas illicite, mais le détournement, la dissimulation ou la volonté de priver l’autre de ses droits lors du partage sont sévèrement sanctionnés.
D- Bijoux, documents au coffre, objets précieux : vol ou recel ?
Les conflits patrimoniaux ne concernent pas que l’argent liquide.
Les bijoux de famille, œuvres d’art, objets de valeur ou documents importants (titres de propriété, livrets bancaires, passeports, etc.) conservés dans un coffre commun ou privé peuvent susciter la convoitise.
Que se passe-t-il si l’un des époux retire, sans l’accord de l’autre, ces biens pour les cacher ou les vendre ?
Là encore, la qualification pénale de vol reste, en principe, écartée par l’immunité familiale.
Mais attention : les exceptions prévues par la loi s’appliquent pleinement si les objets en question sont « indispensables à la vie quotidienne » (documents d’identité, moyens de paiement, etc.).
La soustraction frauduleuse de ces biens peut donc entraîner des poursuites pénales.
Pour les autres objets (bijoux, œuvres d’art), la sanction sera d’abord civile.
En effet, l’époux lésé pourra agir sur le fondement du recel de communauté, à condition de prouver que le bien a été détourné dans une intention frauduleuse, afin de rompre l’égalité du partage.
La charge de la preuve incombe à celui qui s’estime victime, mais la jurisprudence a récemment facilité cette tâche, notamment lorsque des sommes ou des biens importants disparaissent en amont d’un divorce . Traditionnellement, cette preuve est difficile à rapporter du fait de l’article 1421 C. civ., aux termes duquel chacun des époux a le pouvoir d’administrer et disposer des biens communs.
C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation a rendu plusieurs décisions particulièrement importantes, destinées à faciliter la preuve d’un éventuel acte frauduleux ou d’un recel.
En cas de recel, la sanction est implacable : la victime récupère l’intégralité de la valeur du bien détourné, privant l’autre époux de toute part sur ce bien, auquel s’ajoutent parfois des dommages et intérêts ou une restitution en valeur si le bien a été vendu.
E- Vol entre époux en instance de divorce ou après la séparation : immunité levée, poursuites possibles
Le contexte change radicalement dès lors que le couple est en instance de divorce et que la séparation de corps ou l’autorisation de résidence séparée a été prononcée par le juge.
Dans ce cas, l’immunité tombe et le vol commis par l’un contre l’autre redevient une infraction pénale, susceptible de poursuites et de condamnations.
La jurisprudence adopte, ici encore, une approche rigoureuse, en effet, la simple séparation de fait (par exemple, si l’un des époux quitte le domicile conjugal sans décision judiciaire) ne suffit pas à lever l’immunité. Il faut donc une décision formelle du juge, matérialisée par une ordonnance ou un jugement. À défaut, le vol n’est pas constitué au regard du Code pénal.
La Cour de cassation a une interprétation stricte de la notion de résidence séparée .
En revanche, une fois le divorce prononcé, chaque ex-époux redevient pleinement propriétaire de ses biens. Toute soustraction frauduleuse d’un bien appartenant à l’autre pourra être qualifiée de vol, et donner lieu à des poursuites pénales, y compris pour des faits commis après la séparation.
Quid de l’abus de confiance, l’escroquerie ou l’extorsion entre époux ?
L’article 311-12 du Code pénal, qui organise l’immunité familiale, a vu son champ étendu par renvoi à d’autres infractions portant sur les biens, notamment l’abus de confiance, l’escroquerie, l’extorsion et le chantage.
En conséquence, ces infractions ne peuvent être poursuivies entre époux qu’en cas de séparation de corps ou de résidence séparée, ou si l’objet du litige porte sur un bien non couvert par l’immunité.
Il en résulte une protection étendue, mais pas totale. Dès que la séparation judiciaire est prononcée, le champ de la répression pénale est réouvert pour toutes les infractions patrimoniales susceptibles d’être commises dans le couple.
Concrètement : que faire si vous êtes victime d’un vol, d’un détournement ou d’un recel dans le couple ?
- La première étape consiste à établir la situation exacte de votre couple : êtes-vous toujours mariés, séparés de corps, en instance de divorce ou déjà divorcés ? Avez-vous une autorisation de résidence séparée délivrée par le juge ?
Cette qualification est essentielle pour déterminer si l’immunité s’applique, ou si vous pouvez déposer plainte et demander la poursuite de votre conjoint.
En cas de suspicion de détournement d’argent, de disparition de biens précieux ou de dissimulation de documents, il est vivement recommandé de :
- Rassembler toutes les preuves (relevés bancaires, attestations, témoignages, inventaires, etc.).
- Adresser une demande d’explication écrite à votre conjoint (courrier recommandé avec accusé de réception).
- Faire établir un constat d’huissier si nécessaire (notamment pour les objets manquants ou les coffres vidés).
- Saisir sans délai un avocat qui vous conseillera sur la stratégie à adopter action civile pour recel de communauté, action pénale si l’immunité ne s’applique pas, mesures conservatoires pour préserver l’actif à partager.
- Informer le notaire chargé de la liquidation du régime matrimonial de la situation litigieuse, afin que les sommes ou biens détournés soient réintégrés à la masse partageable.
Si vous êtes victime d’un vol portant sur un objet ou un document indispensable à votre vie quotidienne (passeport, carte bancaire, téléphone, etc.), n’hésitez pas à déposer plainte immédiatement, même si vous êtes encore mariés. L’immunité ne joue pas dans ce cas.
En matière de recel, il est impératif de démontrer l’intention frauduleuse de l’autre époux et la volonté de rompre l’égalité du partage. La jurisprudence facilite aujourd’hui la preuve, notamment lorsque des sommes importantes disparaissent en amont du divorce ou que l’époux « receleur » refuse de s’expliquer sur l’emploi des fonds. Les sanctions sont alors sévères, l’époux fautif étant privé de tout droit sur les sommes ou biens dissimulés.
Cas clients du cabinet LMB-Avocats de contentieux entre époux :
- Exemple 1 : Madame X découvre, à la veille de la procédure de divorce, que Monsieur X a vidé le compte joint et transféré la quasi-totalité des économies sur un compte bancaire ouvert à son seul nom. Avertie par son relevé de compte, elle sollicite des explications. Monsieur X garde le silence et refuse de restituer les fonds. Lors de la liquidation, le juge considère que l’intention frauduleuse est caractérisée. Monsieur X est condamné, sur le fondement du recel de communauté, à restituer l’intégralité de la somme à Madame X, sans pouvoir en conserver la moitié.
- Exemple 2 : Monsieur Y, en instance de divorce, profite de l’absence de Madame Y pour retirer du coffre familial des bijoux de famille et des livrets bancaires. Madame Y, alertée à son retour, fait établir un constat d’huissier. L’immunité pénale joue encore, mais lors de la liquidation, le juge retient le recel et attribue à Madame Y la totalité de la valeur des bijoux et des avoirs détournés.
- Exemple 3 : Madame Z, après une ordonnance de séparation de corps, constate la disparition de son passeport et de ses cartes bancaires. La plainte déposée aboutit à des poursuites pénales contre Monsieur Z, l’immunité n’étant plus applicable pour ces objets indispensables à la vie quotidienne.
Ces exemples démontrent que la frontière entre le pénal et le civil est ténue, et que chaque affaire doit être traitée avec rigueur et expertise.
Les conseils pratiques de LMB-Avocats pour se prémunir et réagir efficacement :
- Anticipez : dès les premiers signes de tensions ou de séparation, faites un inventaire précis des biens et des avoirs communs. Conservez les justificatifs, factures, relevés bancaires et inventaires de coffres.
- Communiquez : si vous soupçonnez un détournement, demandez des explications écrites et gardez-en la trace.
- Protégez vos droits : consultez un avocat dès l’apparition de difficultés, même si vous hésitez à engager une procédure. Un professionnel saura évaluer la situation et vous conseiller sur les démarches à entreprendre.
- Agissez rapidement : les délais peuvent être déterminants, notamment pour obtenir des mesures conservatoires, faire réintégrer des biens dans la masse partageable ou éviter leur dilapidation.
- Négociez autant que possible : une solution amiable, avec l’aide d’avocats ou de médiateurs, permet souvent d’éviter l’escalade judiciaire, coûteuse et éprouvante pour tous.
E n conclusion il convient de considérer que le vol entre époux, s’il est largement neutralisé par l’immunité familiale, n’est pas une légende urbaine. La protection du foyer, si elle vise la paix domestique, n’autorise pas toutes les dérives.
La loi et la jurisprudence ont su tracer des limites par la séparation judiciaire, la nature des biens détournés, l’intention frauduleuse sont autant de paramètres qui peuvent transformer un simple différend conjugal en véritable contentieux civil ou pénal.
Vous êtes confronté à une situation de détournement d’argent, de disparition de biens, ou vous craignez d’être victime ou accusé de « vol » dans le cadre de votre couple ? Ne restez pas seul face à la complexité du droit des régimes matrimoniaux et des procédures de divorce. LMB – Avocats, spécialistes reconnus en droit de la famille et du patrimoine, vous accompagnent à chaque étape pour défendre vos droits, anticiper les pièges et garantir une issue juste et équitable à votre dossier. Prenez rendez-vous dès aujourd’hui pour une étude personnalisée de votre situation, et faites de la loi votre meilleur allié.